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Enjeux des technologies 
de la communication en Afrique

Du téléphone à Internet

sous la coordination d'Annie Chéneau-Loquay, 
Ed. Karthala, 2000 

Présentation des auteurs 

  • Samin AMIN Fondation Tiers Monde, Dakar. 
  • Annie CHÉNEAU-LOQUAY CNRS, UMR REGARDS CNRS-IRD, Bordeaux-Talence. 
  • Pascal Baba COULOUBALY Présidence de la République du Mali, Bamako. 
  • Dominique DESBOIS INRA-Economie et Sociologie Rurales, Paris. 
  • Pape N'Diaye DIOUF Institut Universitaire d'Etudes du Développement (IUED), Genève. 
  • James DEANE Institut Panos, Londres. 
  • Michel ELIE Observatoire des usages de l'Internet, Montpellier. 
  • Bruno JAFFRÉ Président de l'ONG Coopération Solidarité, Développement au PTT (CSD PTT), Paris. 
  • Alain d'IRIBARNE Laboratoire d'Economie et de Sociologie du Travail (LEST), CNRS, Aix-en-Provence. 
  • Thibault LE RENARD Centre d'Etudes d'Afrique Noire (CEAN), IEP, Bordeaux. 
  • Ken LOHENTO ONG ORIDEV pour le dévelop- pement d'Internet au Bénin, Cotonou. 
  • Jean MARCHAL France Télécom, Paris. 
  • André NYAMBA Département d'Ethno-Sociologie, Université de Ouagadougou. 
  • Philipe QUÉAU Division de l'Information et de l'Informatique, UNESCO, Paris. 
  • Pascal RENAUD Institut de Recherche pour le Développement, (IRD), Institut des Nations-Unies pour la Formation et la Recherche (UNITAR), Genève. 
  • Mouhamed Tidiane SECK Ecole Supérieure Polytechnique, Département Génie Informatique, Université Cheikh Anta Diop, Dakar. 
  • André-Jean TUDESQ Département d'Histoire, Université de Bordeaux 3. 
  • Katherine VERRIER Département Sciences Politiques, Université Montréal, Canada. 
  • Gaston ZONGO Programme ACACIA au Centre de Recherche pour le Développement International (CRDI), Dakar. 
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Table des matières 

Avant-propos

INTRODUCTION : Entre leurre et miracle, Annie Chéneau-Loquay 11 

PREMIERE PARTIE 

Le marché contre l'Etat ?

  1. Quelle insertion de l'Afrique dans les réseaux mondiaux ? Annie Chéneau-Loquay, 23 [résumé]
  2. Nouvelle donne, nouveaux réseaux, Jean Marchal 67 [résumé]
  3. Historique de l'Internet du Nord au Sud, Pascal Renaud 91 [résumé]
  4. Décrypter les chiffres de l'Internet, Michel Elie 101 [résumé]
  5. Internet et développement global, Michel Elie 115 [résumé]
  6. Les politiques du développement dans le secteur des télécommunications, Dominique Desbois 129 [résumé]
  7. For richer or poorer ? The impact of telecoms accounting rate reform on developing countries, James Deane 151 [résumé]
  8. Vers la désertification technologique du Sud, Pascal Renaud 181 [résumé]

  9. DEUXIEME PARTIE

    Du téléphone à Internet

  10. De l'outil à l' usage : les batailles pour le contrôle des autoroutes de l'information, Samir Amin 189 [résumé]
  11. La parole du téléphone. Significations sociales et individuelles du téléphone chez les Sanan du Burkina Faso, André Nyamba 193 [résumé]
  12. Télécentres au Sénégal, Gaston Zongo 211 [résumé]
  13. Une ONG dans le monde des Télécommunications. Un espace immense pour une marge de manœuvre étroite, Bruno Jaffré 225 [résumé]
  14. Disponibilités et usages des technologies de la communication dans les espaces de l'échange au Sénégal, Annie Chéneau-Loquay, PapeN'Diaye Diouf (collaboration), Thibault Le Renard (participation) 247 [résumé]
  15. L'internet au Bénin de 1995 à 1999, Ken Lohento 281 [résumé]

  16. TROISIEME PARTIE

    Des outils pour la démocratie ?

  17. Pour une approche socio-culturelle des autoroutes de l'information, Alain d'Iribarne 313 [résumé]
  18. L'utilisation des TIC dans les élections générales de 1997 au Mali : promesses et dangers pour la démocratie, Pascal Baba Couloubaly 321 [résumé]
  19. Libération de la parole politique ? Pluralisme radiophonique et transitions politiques en Afrique noire, Katherine Verrier 327 [résumé]
  20. L'influence des radios et des télévisions étrangères sur la vie politique en Afrique subsaharienne, André Jean Tudesq 355 [résumé]
  21. Des radios à l'Internet : le rôle des technologies de l'information en tant qu'outils de transparence et de décentralisation du savoir, Pascal Baba Couloubaly 375 [résumé]

  22. QUATRIEME PARTIE

    Culture locale, culture globale ?

  23. Insertion d'Internet dans les milieux de la recherche scientifique en Afrique de l'Ouest, Mouhamed Tidiane Seck 385 [résumé]
  24. Identité culturelle et éthique de l'Universel, Philippe Quéau 397 [résumé]

  25. Présentation du cédérom

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Avant Propos 

Ce livre est né à la fois d'un projet scientifique du CNRS et de la rencontre de chercheurs et de praticiens du Nord et du Sud autour d'une réflexion partagée sur l'appropriation des savoirs et la maîtrise des technologies de l'information et de la communication.

Il marque la seconde phase d'un programme de recherche du laboratoire REGARDS, unité mixte de recherche CNRS/IRD, sur l'insertion et l'impact des technologies de la communication en Afrique. Celui-ci a d'abord donné lieu à un site web, "AFRICA'NTI" , sur lequel a été présentée une première version d'un état des lieux géographique et de la nouvelle donne liée au déploiement des réseaux électroniques en Afrique. Ce programme s'est ensuite associé à celui de l'Institut des Nations Unies pour la formation et la recherche (UNITAR), "Internet au Sud", dans le cadre d'une publication dans la partie "Enjeux pour le développement" du cédérom ci-joint, réalisée au début de l'année 1999. 

"Internet au Sud" constitue une véritable bibliothèque, il est placé et présenté à la fin de l'ouvrage.

Les textes du cédérom (articles inédits ou non, rapports, communications à des colloques) constituent une première étape de cet ouvrage. Les écrits regroupés ici ont été pour la plupart remaniés, à la fois pour tenir compte de l'évolution de la "société de l'information" en Afrique et pour être adaptés aux exigences d'un ouvrage de référence, qui est le premier en français (à l'exception d'une contribution en anglais) sur ces thématiques et à propos du Sud. 

De nouvelles contributions sont aussi venues apporter des éclairages complémentaires.

Au total cet ouvrage propose une analyse de la question des technologies de l'information et de la communication en Afrique en cette fin de siècle, par une vingtaine de spécialistes de disciplines différentes - sociologues, économistes, informaticiens, géographe, historien, politologue - qui, chacun de son point de vue, souligne les enjeux des TIC pour le développement. 

Annie Chéneau-Loquay 

Bordeaux – novembre 1999

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Introduction

Entre leurre et miracle

Annie chéneau-loquay

La mythologie de la technologie toute puissante, moteur du changement social et économique, qui accompagne chaque avancée technologique, et est renforcée aujourd'hui par la transparence et l'ubiquité attribuées aux nouvelles technologies de la communication, n'est pas de mise dans les travaux regroupés ici. Comment ces nouveaux outils peuvent-ils servir au développement de l'Afrique ? C'est à cette question banale mais peu traitée jusqu'à maintenant que les auteurs cherchent à apporter des réponses concrètes : ce recueil se distingue par l'apport de connaissances et pas seulement d'idées sur les options possibles, sur les usages et sur les enjeux des technologies de l’information et de la communication (TIC) en Afrique.
 
 

Enjeux économiques et politiques, dans le domaine des infrastructures

Ils sont en relation avec deux facteurs essentiels : les innovations technologiques qui se succèdent à un rythme inédit et permettent une baisse des coûts et l'introduction de la concurrence dans des secteurs longtemps sous contrôle des Etats. 

Si l'Afrique se situe, selon une vision globale et occidentale, aux marges d'un système mondialisé et mondialisant, à la queue du peloton dans tous les domaines liés à l'économie comptable, à l'échelle du Continent, une approche cartographique (Annie Chéneau-Loquay) fait apparaître des situations beaucoup plus contrastées reflétant le phénomène d'une "modernisation paradoxale" où l'hétérogénéité des territoires et des sociétés est extrême et où l'économie dite "informelle" domine, mettant en question le rôle de l'Etat dans la gestion des territoires. La télédensité est globalement faible mais certains pays sont bien équipés en téléphones publics. Le téléphone cellulaire connaît un développement inattendu, sa mobilité est un atout particulièrement précieux là où les réseaux filaires sont obsolètes . Internet est l'objet d'un véritable engouement ; quasiment tous les pays sont branchés et la progression des services est la plus forte jamais connue pour aucune autre activité économique sur ce Continent. Face au bouleversement du monde des télécommunications, les Etats sont confrontés à des choix drastiques : faut-il privilégier le câble ou les satellites, libéraliser totalement ou partiellement le secteur des télécommunications ? Selon que l'on opte pour un service universel ou pour laisser faire le marché, les choix technologiques sont différents. 

Ces technologies dont on parle tant sans réellement préciser leurs caractéristiques et leurs implications sortent ici de la boite noire réservée aux seuls spécialistes. Jean Marchal, après avoir présenté le bouleversement du monde des télécommunications, (chute extraordinaire des coûts, explosion de la concurrence), expose de façon claire les possibilités et les limites des solutions technologiques disponibles. Les systèmes mondiaux de télécommunications par satellite semblent avoir un avenir mal assuré après les faillites d’Iridium et d’ICO mais le concept de desserte par une constellation mondiale de satellites basse orbite répond bien aux besoins de l'Afrique, en particulier en milieu rural. Les systèmes privilégiant une approche de boucle locale radio, ou encore de manière plus simple des liaisons radios aménagées, apparaissent eux aussi comme des alternatives à un réseau filaire improbable dans des zones trop enclavées. Le principe de la boucle locale radio est simple, écrit-il, par exemple : "une station de base radio joue le rôle d'émetteur-récepteur et permet de relier immeubles ou maisons équipés d'une simple antenne dans un rayon de trois kilomètres. Une borne et quelques antennes suffisent donc à constituer l'architecture de ces réseaux formant une boucle locale radio. L'intérêt de cette technologie réside pour une bonne part dans son coût relativement modéré et surtout progressif. Il y a également un enjeu réglementaire et concurrentiel : la boucle locale apparaît comme une brèche dans les monopoles existants, permettant éventuellement l'émergence d'opérateurs locaux, partiellement ou totalement pris en charge par les populations locales. C'est pourquoi la boucle locale radio constitue un enjeu important du développement des télécommunications, particulièrement en zones enclavées à faible densité, et un marché stratégique pour les opérateurs et les industriels." 

L’idée d'associer informatique et télécommunications est née avec l'ordinateur dans les années soixante : Internet est le produit d'une longue histoire de recherche-développement sur les réseaux d'ordinateurs et en Afrique francophone, son aventure a commencé à Dakar, dès 1989 avec l'installation d'un serveur Sun Microsystemes au Centre de Recherche Océanographique de l'IRD (Pascal Renaud, Histoire d’Internet). 

Paradoxalement pour un outil aussi médiatique, on connaît très mal Internet, son réseau et ses usages. Il faut d’abord savoir en décrypter les chiffres. Qu’est ce qu’un internaute actif ? Michel Elie donne un aperçu de la multiplicité des interprétations possibles selon les intérêts des uns ou des autres. Les chiffres sont en eux mêmes un enjeu : loin d’être anodins, ils servent à forger les opinions, à identifier les forces et les faiblesses, à orienter les choix et les investissements, à prévoir les évolutions. Comment faire un état des lieux à l’échelle mondiale ? Non seulement l'utilisation des données existantes est rare ; il y a très peu d'exploitation publique comme pour les autres infrastructures de télécommunications et de transport, et en outre ces données sont incomplètes et difficiles à utiliser, comme par exemple, la progression des noms de domaine non géographiques (47 % du total en janvier 1998). Ainsi, l'utilisation de ce puissant outil est toujours entre les mains, dans quelques pays, probablement des plus riches. Il est à craindre dit-il, si on ne cherche pas à mieux comprendre et connaître l'outil et ses usages, qu'il puisse être utilisé comme un instrument de domination des pays les mieux pourvus comme l'a montré la protestation de l'Inde, du Pakistan et de l'Egypte contre une proposition du Centre du commerce mondial de faire d'Internet une zone de commerce libre.

Dans cette révolution informationnelle, quelle sera la marge de manœuvre de petits opérateurs face au mouvement plus général d’interpénétration et de spécialisation à la fois financière et technique opéré par les firmes transnationales issues des pays de la Triade dans leurs stratégies de conquête de nouveaux marchés ? Dominique Desbois pense que "la convergence des technologies autorisée par la numérisation, loin de faciliter le libre accès à l'information comme le souligne le discours promotionnel, semble contraindre les pays émergents à une soumission sans contreparties au modèle mondialisé de développement concurrentiel suscité par la déréglementation actuelle du secteur des télécommunications". 

La question de la réforme de la taxe de répartition entre opérateurs montre clairement le pouvoir des opérateurs de télécommunications américains. James Deane (For richer or poorer ?) met l'accent sur un phénomène peu connu du grand public, le fait qu’une source importante de revenus pour les Etats du Tiers Monde provient de la taxe dite de répartition entre envoyeurs et destinataires d'appels téléphoniques internationaux. Cette taxe jusque là était partagée à peu près à égalité entre les deux partenaires, et comme le nombre d'appels entrants dans les pays pauvres est largement supérieur au nombre d'appels sortants, pour une fois, "la pauvreté rapportait". Ce système de répartition générait selon l'Union Internationale des Télécommunications, (UIT) entre 5 à 10 milliards de dollars par an de recettes pour les pays en développement ce qui pouvait représenter jusqu'à cinquante pour cent des revenus du secteur des télécommunications. La remise en cause unilatérale de ce système par les Etats-Unis, principal pourvoyeur d'appels et, de ce fait, principal débiteur dans ce système, risque de diminuer drastiquement les revenus des plus pauvres. James Deane examine les solutions alternatives proposées par les Américains dont les arguments ne manquent pas de perversité : au cours de la dernière décade une raison substantielle de leur déficit au niveau de la taxe de répartition réside dans le fait que leurs opérateurs ont gagné beaucoup d’argent en encourageant le système du "call back", appel en retour, très apprécié par les Africains. Il consiste à appeler un opérateur étranger qui va établir la connexion avec votre correspondant à un prix inférieur à celui de votre opérateur national. Ce système, redouté sinon interdit par les gouvernements d’Afrique, a permis aux Etats-Unis de capturer une part croissante du trafic international. Principaux bénéficiaires globalement du marché des télécommunications, ils profitent de leur situation de dominant pour imposer leur vision au reste du monde et faire davantage de profit.

Dans ce contexte d'une globalisation exacerbée, quelles peuvent être les perspectives du développement des TIC en Afrique ? La progression du nombre d'utilisateurs va se heurter à court terme à la saturation du marché solvable, à l'insuffisance des infrastructures et au faible taux d'alphabétisation. Pascal Renaud rappelle que ce constat est à l'origine de nombreuses initiatives de coopération internationale et a motivé l'organisation d'un G7 en Afrique du Sud. Cette réunion au sommet, qui outre les Sept, a réuni sur le thème "Société de l'information et développement", une trentaine de pays du Sud et les principales organisations internationales, avait fait naître l'espoir de voir les "pays les plus riches du Monde" s'engager sur de grands travaux d'infrastructures. L'objectif fixé par Nelson Mandela lui-même, n'était-il pas "d'introduire les pays en développement dans le nouveau monde de l'information" ? "A l'issue de cette manifestation, il faut constater que, loin de s'engager à collaborer sur des travaux d'infrastructure, les Sept ont surtout encouragé les pays en développement à s'ouvrir au marché mondial des télécommunications. Cette orientation s'appuie sur un mythe tenace selon lequel l'Internet serait le résultat de la politique américaine de dérégulation des télécommunications". Or il n'en est rien, il s'agit d'une relecture idéologique qui s'impose d'autant plus facilement qu'elle renforce la légitimité des acteurs commerciaux du réseau. 

Les grandes manœuvres entre opérateurs de réseaux conditionnent l'accessibilité aux outils, mais il faut faire la distinction entre l'outil et l'usage qui en est fait; Samir Amin rappelle que le déroulement de l'histoire n'est pas commandé directement par le progrès technique, "l'histoire est davantage celle de la lutte pour le contrôle des usages de ces techniques, qui est finalement un aspect de la lutte sociale, des luttes de classes et des luttes de nations". 
 
 

Du téléphone à Internet : comment créer les conditions pour que les usages servent le progrès de la société ? 

Si les technologies donnent désormais la possibilité à tout un chacun de téléphoner de n'importe où, encore faut-il en avoir les moyens. Le simple combiné est un outil hors d'accès pour la majorité des ruraux ; c'est toute la question de la téléphonie rurale, un défi majeur pour les Etats, un domaine où la notion de service universel prend sa réelle valeur pour répondre aux attentes de populations qui acceptent de moins en moins d'être laissées à l'écart. 

Les enquêtes d'André Nyamba sur la faisabilité d'un projet de téléphonie dans trois villages du Burkina Faso montrent que les villageois sont très intéressés par le téléphone et qu'il perturbera nécessairement leur mode de vie, ce dont les opérateurs devraient tenir compte. Il souligne aussi toute l'ambiguïté de l'aide des ONG que Bruno Jaffré analyse lui du point de vue du militant impliqué dans l'installation d'outils de téléphonie. Le "bon cœur" ne suffit pas mais les grands opérateurs qui s'éloignent des espaces les moins rentables ne vont-ils pas faire appel de plus en plus à des ONG et les instrumentaliser comme alibis ? Il souligne le paradoxe d’avoir à travailler pour le développement du service public, certes pour le bien de la population, mais aussi au profit d’un opérateur privé alors que celui-ci se refusera à se lancer dans des investissements non immédiatement rentables.

L'usage du téléphone n'est plus tout à fait une innovation au Sénégal qui bénéficie d'un équipement en télécentres qui en fait le premier pays d'Afrique pour les accès publics. Le choix d'accorder des concessions a des petits entrepreneurs privés a généré la création de plusieurs milliers d'emplois, une vive concurrence entre les propriétaires qui commencent à s'organiser et des revenus élargis pour la Société nationale désormais privatisée qui est un modèle d'efficacité et de rentabilité en Afrique (Gaston Zongo).

De la parole donnée sur le grand marché frontalier du Sud à l'entreprise de télétravail de Dakar qui profite du différentiel des rémunérations Nord Sud et fait travailler 45 personnes en continu, (en utilisant le décalage horaire pour livrer du jour au lendemain 1 500 000 signes par jour), les univers de la communication sont on ne peut plus variés dans ce pays, (Annie Chéneau-Loquay, Pape Diouf). Comment relier différents points du Sénégal importe plus aux associations rurales que de naviguer à l'international sur la toile. Alors qu'en Afrique l'oralité est privilégiée, Internet fait appel d'abord à une bonne maîtrise de l'écrit ; les commerçants rencontrés à Saint Louis, désireux de connaître et éventuellement d'utiliser Internet, mais largement illettrés, ont bien perçu cet obstacle et ont demandé l'intercession de médiateurs. Cette idée d'un intermédiaire entre l'outil et l'usager, comme une sorte de scribe moderne, retrouverait ce qui existe déjà, les écrivains publics auxquels on a encore très largement recours pour le courrier. Dans les univers "modernes", Internet a les mêmes usages qu'au Nord : c'est une vitrine du pays pour les investisseurs étrangers par les sites officiels et ceux des "Trade point" et un outil essentiel d'abord pour le monde universitaire et de la recherche. 

La radioscopie de la connexion du Bénin à l'Internet par Ken Lohento est très représentative de ce paradoxe africain de la mixture entre moderne et "traditionnel", d'une avancée très rapide malgré de très fortes contraintes. Depuis octobre 97, les coûts n'ont pas encore baissé mais une dizaine de cyber-centres se sont ouverts à Cotonou et ailleurs en plus des cinq premiers. Une adresse électronique étant utilisée en moyenne par quatre personnes, on atteint un chiffre minimum de 9 000 internautes au Bénin). Le taux de pénétration de 9 pour 10 000 personnes est aussi élevé que dans bien des pays plus développés. Les serveurs locaux se sont multipliés et un début de dialogue régional, un forum, s'instaure à l'initiative du projet des Etats Unis, Leland, entre le Bénin, la Côte d'Ivoire, le Mali et la Guinée comme application de l'Internet pour le développement. 
 
 

Ces nouveaux outils peuvent ils favoriser la démocratie ? 

Pour Alain d'Iribarne, "la dynamique des systèmes techniques s'inscrit dans des combinaisons de déséquilibre interne et de cohérence entre les diverses techniques, impliquant des compatibilités avec les autres systèmes et tout particulièrement avec les systèmes sociaux à la dynamique desquels ils participent". Face aux enjeux majeurs pour nos sociétés, il propose de préférer à une approche par la technique "une approche d'interdépendance complexe entre le technique, l'économique, le social et le culturel, en faisant de la recherche d'une citoyenneté élargie un des fondements essentiels du développement des technologies de l'information arrivées au stade des applications, dans une perspective d'une nouvelle société mieux à même de satisfaire des principes d'équité économique et de justice sociale qui sont censés fonder la démocratie. Ainsi, loin de constituer des menaces pour les libertés publiques, les nouvelles technologies de l'information inscrites dans la "Cité citoyenne" viendraient contribuer au renouvellement de cette citoyenneté, autorisant des comblements de lacunes et des élargissements dans les participations à la vie publique".

L'expérience originale que le Gouvernement a réalisé au Mali en décidant de faire appel pour la première fois en Afrique (et peut être même dans le monde ?) aux technologies de l'information pour éviter les risques de fraudes et de contestations susceptibles d'entacher le processus électoral des élections présidentielles est décrite par Pascal Baba Couloubaly (texte Promesses et dangers pour la démocratie). Les enseignements en sont très significatifs. "Les questions que soulève toute expérience de ce genre en Afrique tiennent au danger que peut susciter l'espoir que les TIC réalisent des miracles en dehors des contraintes préalables... Compte tenu des disponibilités économiques du Continent, de la demande sociale et culturelle des populations, il faut donc garder la plus grande prudence vis-à-vis de l'utilisation des TIC en Afrique". 

Le développement et l’éducation des populations, est toujours la justification avancée soit pour l’emprise des États africains sur la radiodiffusion, soit pour la libéralisation des ondes remarque Katherine Verrier alors que, comme l’affirme André Jean Tudesq, "la relation entre médias et développement est affirmée plus que démontrée depuis plus de trente ans . Les médias, particulièrement la radio, sont des acteurs cruciaux dans les luttes de pouvoir, et les transitions politiques, et plutôt que de minimiser cette donnée, l’ont accentuée. Les radios et télévisions étrangères sont-elles une contribution ou un frein à la démocratisation des sociétés africaines, s'interroge André Jean Tudesq. "Dans le contexte de l'internationalisation croissante des moyens d'information et de communication, leur influence ne peut que s'accentuer. Elle rend désormais impossible le monopole d'un Gouvernement sur l'information donnée à ses populations mais elle accentue le fossé, qui n'est pas seulement culturel, que provoque la télévision inégalement reçue et inégalement perçue par les habitants d'un même pays".

Pour Pascal Baba Couloubaly, en Afrique ce n'est pas l'Internet qui est l'instrument de la citoyenneté mais bien la radio qui a connu un développement spectaculaire depuis le début des années 90. "La liberté des ondes au Mali permet l'émergence de débats publics, garantit une meilleure transparence du pouvoir et une démystification de l'Etat tout puissant. Elle permet surtout de lier les savoirs locaux aux savoirs mondiaux en réhabilitant les langues et les modes d'expressions spécifiques à l'Afrique." Alors qu'en est-il d'Internet ? Pour lui, quand les ressources et les infrastructures nécessaires à la croissance des TIC font défaut et que les indicateurs sociaux restent au plus bas, l'Internet semble peu adapté. 
 
 

Associer cultures locales et culture globale... 

Malgré tous les obstacles, ne serait-ce que pour des questions éthiques et culturelles, Mouhamed Tidiane Seck pense que l'Afrique doit s'exprimer sur la grande toile. L'enjeu véritable se résume à un double défi que doivent relever les systèmes d'enseignement et de recherche, à savoir : - rester à l'écoute de ce qui se fait dans le reste du monde ; - être en adéquation avec les besoins socio-économiques sous-régionaux. "Entre une vision optimiste, qui perçoit les NTIC comme une panoplie de moyens nouveaux qu'il faut s'approprier afin d'arrimer le Continent au reste du monde et de le conduire au saut technologique indispensable pour combler son retard et l'autre, plus méfiante, qui sent revenir, sous une forme plus pernicieuse, la domination culturelle du modèle occidental, pour ma part, ce débat ne peut être tranché que par une participation offensive et positive au dialogue mondial, en tirant parti des possibilités offertes par ces technologies pour à la fois créer les courants d'échanges indispensables entre nos pays, pour valoriser nos complémentarités et marquer notre présence dans le monde par la production de contenus de qualité aptes à faire apprécier nos ressources et nos potentialités par l'extérieur".

Philippe Quéau, face à la révolution culturelle que génère la "société de l'information", rêve de revenir à la tradition humaniste européenne, à une éthique universelle afin de réguler une économie mondialisée et donner une assise plus ferme au "politique", tenté par la démission pure et simple (cf. le slogan du "moins d'Etat", alors que c'est de "mieux d'Etat" dont nous avons besoin). Une éthique universelle doit servir de base possible à une "civilisation mondiale" ou "universelle". Mais dit-il, ne nous leurrons pas, des contradictions multiples rendent difficile cette "éthique universelle". Nous avons besoin, face au marché, d'une nouvelle "sphère publique" ouverte à la participation, au savoir, à la délibération, à l'expression des citoyens. C'est le rôle du Gouvernement de définir la nature de ce "domaine public" et de le rendre accessible par la mise à disposition de tous d'un "service universel", indispensable pour "l'intérêt général". La démocratie dépend de la qualité de ce "domaine public", qui en est l'essence même, "l'agora". Le "service ou l'accès universel" est une condition pour la justice sociale, l'identité collective, la solidarité.

Entre leurre et miracle, il s'agit selon Alpha Oumar Konare de "répondre aux défis, sans naïveté".

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Ce livre peut être commandé aux éditions : 

KARTHALA
22-24 bd Arago
75013 PARIS
http://www.karthala.com

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Responsable du projet :
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