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L'Internet, son Web et son Email en Afrique
Approche critique
Raphaël NTAMBUE Tshimbulu
PREFACE
Cet ouvrage de Raphaël Ntambue se veut une revue bibliographique critique de ce qui est paru à propos d'Internet, de son web et de son e-mail, dans les domaines des sciences sociales, sur l'Afrique et ce dès 1987. J'ai compté 398 références qui vont de la brève d'une page sur un forum, ou du discours d'un politique, à l'ouvrage collectif, et ce en français mais aussi parfois en anglais. Elles sont listées d'abord par ordre chronologique - on voit ainsi la progression d'année en année - et à la fin par auteur. C'est dire si l'entreprise est impressionnante déjà par son ampleur.
Mais, et c'est là l'intérêt particulier de cet ouvrage, l'auteur va bien au delà de la simple bibliographie commentée ; il réalise, comme il le dit, une synthèse des principales idées émises et une analyse originale des tendances de la pensée afin de mettre en évidence ce qu'il appelle les " occasions manquées " du débat actuel. L'écriture est très claire, avec un art certain du raccourci et un souci constant de la pédagogie. Il classe et numérote fréquemment ses idées par exemple, commence par présenter les concepts clés de l'Internet, place en annexe un lexique et même un équivalent français des termes anglais de l'Internet et résout ainsi un agaçant problème.L'analyse de contenu très fouillée, en trois chapitres, le contenu des études, leurs tendances et enfin leur évaluation, opère une alliance bienvenue entre une approche scientifique de la production et une posture qui est celle d'une " anthropologie Africaine " se démarquant d'une vision occidentale de l'Afrique et du développement de l'Internet dans ce continent, (qui voudrait par exemple diffuser des technologies à bas prix plutôt que des technologies de pointe), sans pour autant tomber dans un idéalisme incantatoire qui nierait les considérables obstacles de tous ordres et en particulier culturels locaux.
L'ouvrage prend tout son sens dans la dernière partie, " Les occasions manquées ", où l'auteur exprime sa vision personnelle. Malgré la profusion des écrits, on se trouve encore dans une phase où "la faiblesse du débat fait partie des anthousiasmes des débuts". Il n'y a pas encore de recherches approfondies sur les usages et les modes d'appropriation de l'Internet en Afrique, du moins francophone. Cela tient au caractère encore récent de la diffusion d'Internet en Afrique mais aussi au fait que les études sont faites jusque là en grande majorité par des Occidentaux. On ne peut donc qu'adhérer à la proposition de l'auteur. Ce qui compte, pour Raphaël Ntambue, c'est que les Africains et leurs amis s'impliquent dans " des études de stratégies d'appropriation et d'impact qui tiennent compte de leurs intérêts, de leur avoir, du rythme de leur évolution et de l'expérience vécue lors des coopérations techniques des décennies passées ". C'est à partir de là que pourra jaillir cette anthropologie africaine, c'est à dire un apport socio-culturel des Africains à la révolution et à la gestion de la télématique, les manières africaines de les vivre et de les penser. Logicien et informaticien l'auteur affirme qu'il y a d'autres logiques que la logique binaire pour les circuits d'ordinateurs, d'autres possibilités que le recours aux transistors et à la notion mathématique de fonction et il en appelle à une participation à une recherche en informatique où les " ressources humaines locales seraient autre chose que des simples " stations-relais " et plus largement à la création d'une ambiance de recherche permanente d'essais et d'erreurs, indispensable pour prétendre à une appropriation participation. C'est là une condition majeure pour faire éclater la logique de la dépendance et les iniquités qui s'en suivent mais ce n'est pas la seule. Il énumère aussi les obstacles culturels qui s'opposent à cette participation et souligne en particulier la réticence au droit en Afrique.
A juste titre Raphaël Ntambue met l'accent sur le fait que les NTIC ne sont pas en général présentées comme des systèmes de représentation, comme véhiculant une idéologie. Il ne parle pas du renouveau de la mythologie du progrès technique vecteur de progrès social qui est inhérente à l'idéologie libérale et qui est réactivée en particulier dans le discours des organismes internationaux à propos d'Internet. On peut rappeler les travaux pionniers d'Yvonne Mignot-Lefèvre qui montre en 1987 la véritable fascination qu'exerçait la télévision éducative. Il est vrai que le point de vue économico-politique domine et qu'une critique africaine des NTIC comme idéologie qui analyserait le système sous le double aspect matériel et idéel pourrait en effet faire l'objet de tout un programme de recherche.
Cette critique des idéologies passe aussi, selon lui, par la mise en cause du fait que le véhicule de l'Internet, le réseau, devienne un critère de classification des sociétés. Etre connecté à des réseaux matériels et immatériels caractérise en effet l'individu intégré dans la société industrielle et, à l'inverse, l'absence ou la déficience de ces réseaux est le lot commun en Afrique. C'est là le constat légitime d'une discipline, la géographie, qui raisonne par rapport aux structures spatiales et ne prétend pas couvrir le champ des sciences sociales. En faire un jugement de valeur global pour classer les territoires et les individus selon qu'ils sont ou non connectés peut être considéré comme une dérive fétichiste du développement rationnel. D'autres concepts, la communication, la mondialisation, sont passés au crible comme produits de la pensée unique inadaptée aux cultures africaines.
Mais l'auteur n'en reste pas à la critique et c'est en cela aussi que l'ouvrage stimule la réflexion. Pour sortir des schémas de la théorie classique du développement (retard, manque à combler, maîtrise sociale rapide), il propose de retourner la question. Au lieu de " comment aider les populations à rester dans le coup ? " il s'agirait de concevoir le projet Internet comme hypothèse négociée, une dynamique déterminée par la situation locale et conçue sur le long terme. " Dès lors ce qui était problème ou mieux obstacle devient opportunité à exploiter, car il incite à identifier la source de résistance locale et à revoir la dynamique engagée "
On peut ici ou là ne pas être en accord sur certains points de détail, regretter qu'il n'y ait pas de classement des sources par types, ou que la question des politiques publiques ne soit pas abordée, cet ouvrage n'en représente pas moins une somme d'analyse et de réflexion qu'il est désormais impossible d'ignorer pour quiconque veut travailler sur la question de l'insertion et des enjeux des NTIC en Afrique.
Annie Chéneau-Loquay
Directeur de recherche au CNRSRaphaël NTAMBUE Tshimbulu, "L'Internet, son Web et son E-mail en Afrique : approche critique", éd. L'Harmattan, 2001, 356 p., 27,45 €. ISBN : 2-7475-1632-6
Responsable du projet :
Annie Chéneau-Loquay
Directrice de recherche CNRS
CEAN (UMR CNRS-IEP)
Maison des Suds
12 Esplanade des Antilles
F- 33607 PESSAC CEDEX
a.cheneau-loquay@sciencespobordeaux.frResponsable du site web :
Raphaël Ntambue
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