Logo du CNRS Logo de l'UMR CEAN Afrique et télécommunications


Le projet Africa'nti Problématique Résultats de recherche L'actualité du projet Les liens

Page d'accueilRechercher sur ce site
Nous envoyer un message

Quelle insertion de l'Afrique
dans les réseaux mondiaux ?
(4/6)

Une approche géographique

par Annie Chéneau-Loquay,
texte mis à jour : novembre 1999

[1. Introduction] [2. Service de base] [3. Nouveaux réseaux] [4. Conclusion] [5. Annexe] [6. Références]

Conclusion : quels usages, quels risques ?

En Afrique la messagerie électronique répond à un véritable besoin de la clientèle solvable en messagerie, un besoin supérieur à celui d'un pays développé où d'autres moyens sont disponibles. Ainsi, malgré des prix encore trop élevés et des accès restreints, il n'existerait de liens spécialisés "back bone" qu'en Afrique du Sud, le courrier électronique est désormais en Afrique le moyen le moins onéreux pour communiquer en international. Au Ghana par exemple, la transmission d'un message de 2 000 mots par Internet coûtait 174 fois moins cher que par transmission vocale classique entre La Haye et Accra. Dès la fin de l'année 1996 le ratio de 3 % (600 clients de messagerie électronique pour 20 000 lignes principales au Mali sans compter les adresses de l'ORSTOM, de l'ordre de 300 et les adresses de l'AUPELF UREF), était le double du ratio français (1,5 % avec 500 000 boîtes à lettres électroniques pour 33 millions de lignes France Télécom) alors que l'accès complet Internet au Mali est postérieur, il date de juillet 1997. La croissance de ce service à valeur ajoutée était bien supérieure à la croissance du parc de lignes principales (12 % par mois, à comparer avec une croissance du parc de lignes principales comprise entre 3 et 12 % par an). La croissance du trafic par boîte à lettres électroniques était encore supérieure : chaque boîte à lettres consommant de plus en plus en moyenne, ce qui signifie que les usages vont croissant33.

Au Ghana le courrier peut s'échanger par Internet. Le fournisseur d'accès Africa-on-Line a signé un accord d'exclusivité avec les Postes nationales ghanéennes qui permet la transmission du courrier par Internet. Le fournisseur d'accès offre gratuitement une adresse électronique à tout Ghanéen qui en fait la demande. Muni de celle-ci il peut se présenter à un bureau de poste, remettre sa lettre à un employé qui la transcrit sur ordinateur et l'expédie via Internet. Les coûts de transmission du message sont de 1,50 FF ou 2,50 FF (selon deux sources différentes). En deux mois, 30 000 lettres auraient ainsi été expédiées dans un pays qui ne compterait que 20 000 ordinateurs dont moins de 10 % seraient reliés à Internet (forum GKD).

Dans les univers modernes, les centres des capitales, les usages d'Internet sont semblables à ceux du monde développé et les accès publics, les cyber-cafés connaissent un grand succès. A Dakar, au Metissacana, premier cyber-café du Continent, il faut mettre en place des listes d'attente le vendredi soir. Quelques télécentres donnent accès au réseau (voir notre texte sur les échanges au Sénégal).

Ces nouveaux outils participent au désenclavement de pays isolés et sont porteurs d'une utopie d'égalité et d'ubiquité en permettant de s'affranchir des contraintes de distance et de localisation pour participer au savoir mondial. Pascal Renaud compare Internet à une gigantesque encyclopédie dont les volumes devraient être rendus accessibles à tous dans l'esprit des encyclopédistes du XVIIIème siècle34.

Si cette insertion dans le système mondial de l'information suscite l'espoir d'accomplir un saut technologique qui contribuerait à résoudre les problèmes régionaux, les enjeux et les risques sont perçus en Afrique de manière réaliste étant donné les fortes contraintes liées au sous-développement. Selon des enquêtes menées au Sénégal35, la technologie et particulièrement les TIC sont vues au coeur de grandes manoeuvres pour le contrôle des marchés, des idées et des systèmes de valeur et seront demain un des principaux facteurs discriminants entre pauvres et riches. L'accès rapide à l'information économique peut faciliter le commerce, permettre des gains de productivité. Les échanges d'information scientifique contribueront au renforcement des capacités scientifiques endogènes mais il est nécessaire de ne pas se laisser submerger par les contenus du Nord et comme l'exprimait un journaliste "de mettre ses propres voitures sur les autoroutes de l'information" Les Africains ajoutait-il, "ne doivent pas être de simples consommateurs mais faire la promotion de leurs cultures et savoir faire endogènes".

En perspective, l'ère du décodeur, service universel ou contournement du territoire ?

Quand la relation avec le client se fait directement par l'intermédiaire d'un décodeur le risque existe d'un contournement du territoire de l'Etat. C'est le cas dans des projets de télécommunication directe par satellite, tel qu'Inmarsat, Iridium ou dans une moindre mesure Global Star (voir le texte de Pascal Renaud, "La désertification technologique du Sud"). Au début de 1998, la principale société qui commercialisait de tels systèmes à Paris faisait 80 % de son chiffre d'affaires avec des clients africains. Alors que les fréquences hertziennes sont attribuées par les États seront-ils capables de les contrôler quand ce sont les plus riches, souvent les plus proches du pouvoir qui peuvent acquérir de tels moyens ? Le dernier projet en date, celui de Bill Gates, Teledesic, qui accaparerait certaines orbites, est contesté par les Européens qui présentent un projet concurrent, mais l'hégémonie américaine tend à s'affirmer toujours davantage dans ce secteur hautement stratégique et rentable.

Avec l'installation des satellites basse orbite, l'échelle de l'Etat et de la nation risque de se trouver contournée à la fois par le haut et par le bas :

- par le haut par l'emprise des réseaux gouvernés par les pays du Nord. La décennie quatre-vingt dix s'est ouverte de façon emblématique par la guerre du Golfe gigantesque jeu vidéo en vrai grandeur où les performances des technologies de la communication ont été testées et où la télédétection a joué un rôle majeur dans la conduite au sens propre de la guerre : ciblage des tirs, repérage des troupes. Dans des domaines moins dramatiques, les satellites d'observation de la terre peuvent pallier en grande partie la carence très générale des services statistiques en Afrique sur les usages des sols, les ressources et leurs limites ;

- par le bas par la prolifération d'entités fonctionnant comme des isolats sur leur territoire local mais reliées à l'extérieur. La remise en cause de l'État, du territoire et aussi des cultures locales serait donc particulièrement effective pour les NTIC.

En s'affranchissant de la matérialité du territoire, ces technologies ne vont-elles pas plutôt accentuer les différenciations spatiales, la tendance au développement d'espaces de pénurie autour d'oasis bien équipées : la capitale relais du Nord, les communautés sous projet. La question des infrastructures de télécommunications est liée à celle des infrastructures et des équipements en général que l'Etat a pour fonction d'entretenir. La transmission d'informations sur la santé par Internet est certes importante pour un médecin mais faut-il encore pouvoir transporter le malade à l'hôpital. L'Etat, le droit et les réseaux sont intimement liés dans un processus de développement. Des technologies mobiles et numériques ne sont-elles pas par contre compatibles avec des économies du type de celle des chefs de guerre, du Liberia, de l'ex-Zaïre, de l'Angola ?

Les Etats sauront-ils mettre en place des systèmes de régulation afin de rechercher une équité socio-spatiale dans la diffusion de ces outils ; les techniques le permettent mais la mise en oeuvre ne peut pas appartenir au seul marché, et la nouvelle approche institutionnelle au niveau des instances de coopération internationales permettra peut être de réduire la pression des tenants du pur libéralisme sur les Etats africains ?


Notes

33. Enquêtes du Ministère des Affaires Etrangères, Jean Marchal, inédit 1997. [retour]

34. Pascal Renaud, voir le site de l'initiative Diderot pour le développement d'Internet, <<http://www.rio.net/diderot/ID.html>>.[retour]

35. Enquêtes personnelles en février 1996 à Dakar et étude du CRDI préparation pour l'initiative ACACIA, janvier 1997 <http://www.idrc.ca/acacia/outputs/op-seng.htm>.[retour]

revenir en haut de la page


Responsable du projet :
Annie Chéneau-Loquay
Directrice de recherche CNRS
CEAN (UMR CNRS-IEP)
Maison des Suds
12 Esplanade des Antilles
F- 33607 PESSAC CEDEX
a.cheneau-loquay@sciencespobordeaux.fr

Responsable du site web :
Raphaël Ntambue
CEAN (UMR CNRS-IEP)
Maison des Suds
12 Esplanade des Antilles
F- 33607 PESSAC CEDEX

tntambue@ulb.ac.be

copyright et autres informations légales.